Du 12 au 19 octobre: au Nord, à Sa Pa

Nous sommes arrivés à Sa Pa dans la brume du matin, après une longue nuit « bercés » par le train.
Au petit jour, la montagne semblait encore endormie sous un voile de nuages.

Sa Pa a bien changé.
La petite bourgade d’autrefois est devenue une ville animée, parfois même un peu trop.
Mais dès qu’on quitte ses rues bruyantes, la nature reprend le dessus.

Le lendemain, nous avons pris le chemin des rizières.
Cinq jours de marche sur des sentiers étroits, qui serpentent entre les terrasses et les hameaux perchés. Le riz a été récolté.
Notre guide Sam travaille avec Sapa Sisters, une association de femmes Hmong qui connaissent chaque pierre, chaque virage, chaque souffle de ces montagnes.

Anecdote : l’indigo
Chez les Hmong, la préparation de l’indigo est presque un rituel, un savoir transmis de génération en génération.


Tout commence par une grande marmite d’eau que l’on fait chauffer doucement. Quand la vapeur s’élève, on y jette les feuilles fraîches de l’indigotier.

Après une bonne demi-heure, l’eau prend une teinte verte, un peu mystérieuse. On change alors l’eau, on recommence la cuisson, et, au bout de plusieurs heures – parfois vingt-trois ! – le vert se transforme en un bleu profond, presque magique.

Pour renforcer cette couleur, on ajoute un peu de poudre de calcaire. À chaque nouvelle cuisson, le bleu se fait plus sombre, plus intense, jusqu’à virer au noir — la couleur que préfèrent les femmes hmong.
Et pour fixer cette teinte si précieuse, un dernier geste : une touche d’alcool de riz.

Un vrai petit miracle de patience et d’alchimie, où la nature et la main de l’homme se répondent.

Anecdote : La corne de buffle

Chez les Hmong, rien ne se perd, pas même les cornes du buffle.
Quand l’animal meurt, on les récupère soigneusement — elles serviront encore, mais d’une autre façon.
En cas de maux de tête, on place un petit morceau de charbon à l’intérieur de la corne.

Puis on l’applique, là, juste au milieu du front.
Il faut patienter une trentaine de minutes, le temps que la chaleur du corps et le charbon fassent leur travail.

On dit que la douleur s’en va ainsi, aspirée par la corne.
Un remède ancien, simple, presque magique — un mélange de savoir empirique et de croyance, transmis depuis des générations.

Anecdote : Le mariage

Ici, les mariages suivent encore des traditions anciennes.
Tout commence d’une façon surprenante : la jeune fille est “kidnappée” pendant trois jours.
Rien de violent — c’est une coutume symbolique, presque un jeu, qui marque le début des négociations.

Au bout de ces trois jours, le jeune homme ramène la fille dans sa famille.
Il vient les mains pleines : une corne de buffle remplie de vin de riz et deux poulets.

Tout le monde s’assied, on partage le vin, on discute.
Pendant une trentaine de minutes, les familles débattent du mariage, calmement, autour des bols fumants.

À la fin de ce temps, la jeune fille peut décider.
Oui ou non.
Dans la plupart des cas, elle accepte — mais pas toujours.
Mais dans certaines familles, il arrive parfois que les jeunes filles (très jeunes, environ 16 ans) n’ont pas le choix et elles n’osent pas s’imposer. Le mariage est donc forcé et parfois fini tristement par le suicide de l’épouse. Elle va consommer quelques feuilles de cette plante . A moins d’être hospitalisée rapidement… ce sera le dernier voyage

Les jeunes se rencontrent maintenant souvent au marché du dimanche ou par les réseaux sociaux. Ils se connaissent et se déjà sont choisis. Mais le « kidnapping » reste encore souvent d’actualité…
Si le mariage est accepté, il ne se fait pas tout de suite.
Le futur époux doit encore rassembler la dot, parfois pendant une année entière et la future épouse doit tisser, coudre et broder son vêtement traditionnel. C’est pour cela qu’elles sont tout le temps en train de filer du chanvre ou de coudre…
Alors seulement, la fête peut commencer.

Anecdote : Le chanvre, histoire de couture

Ici, le chanvre n’est pas qu’une plante : c’est le début de toute une histoire de patience et de savoir-faire.
On l’utilise pour fabriquer les fils qui serviront à tisser les habits.

Quand le chanvre arrive à maturité, on le coupe, puis on le laisse sécher au soleil pendant deux bonnes semaines.
Ensuite, les tiges sont fendues, pelées, et les filaments tirés avec soin.
Ces fils sont ensuite torsadés, parfois sur huit ou neuf kilomètres de longueur, un travail de fourmi, presque méditatif, qui continue même en marchant…


Vient ensuite le temps des lavages et des cuissons.
Les fibres sont bouillies dans l’eau mêlée de cendre pendant deux ou trois jours, puis rincées dans la rivière.
On recommence encore une ou deux fois, jusqu’à ce que la matière soit souple et propre.
Alors seulement, on peut filer, tisser, puis teindre.

Préparer assez de tissu pour habiller toute la famille demande plus d’une année entière.
Et chaque femme recommence, année après année, pour que tout soit prêt à temps pour la grande fête du Têt ou les cérémonies telles que mariage, naissance, deuil…

Anecdote : L’école

Dans les montagnes du Nord, les enfants commencent l’école très tôt , dès l’âge de trois ans.
Il y a d’abord le jardin d’enfants, puis l’école primaire et secondaire, jusqu’à environ douze ans. (De 7h à 12h et de 13h à 16h)

Mais ici, les villages sont souvent loin les uns des autres.
Alors, beaucoup d’enfants restent à l’école toute la semaine.
Ils dorment sur place, mangent sur place, une petite vie en communauté, loin de la famille.

L’école est normalement gratuite et obligatoire.
Pour aller plus loin, vers l’école supérieure, il faut passer un examen.
Cet examen sélectionne les meilleurs : le gouvernement ne peut pas financer les études de tous.
L’université, elle, se trouve à Hanoï, payante, et souvent inaccessible pour beaucoup de familles.

Dans les foyers plus aisés, ceux qui possèdent plusieurs buffles, les enfants vont parfois moins à l’école.
Ils doivent garder les troupeaux — buffles et vaches hors des champs de riz ou des plantations de maïs, pendant la bonne saison.
Mais en ce moment, c’est les “vacances des buffles” : les animaux sont laissés libres, à paître tranquillement dans les montagnes.

Anecdote : Le retour des sangsues

Eh oui… ici aussi, il y en a! Ça nous a rappelé quelques souvenirs du Sri Lanka…
Quelques exemples:

Au printemps, il faut se méfier : ces petites bêtes ont la curieuse habitude de grimper dans le nez quand on se rince le visage à la rivière.
Le vrai problème, c’est qu’une fois à l’intérieur, elles ne ressortent plus d’elles-mêmes.

La méthode locale, paraît-il, est assez ingénieuse :
on place un petit os de poulet tout près du nez.
Attirée par l’odeur, la sangsue finit par venir goûter — et c’est comme ça qu’on la récupère.

On raconte aussi qu’elles peuvent parfois se glisser jusqu’au fond de la gorge, quand on boit l’eau de la rivière directement dans ses mains…
Mieux vaut y penser avant de se désaltérer trop vite !

Anecdote : L’eau des montagnes

L’eau des montagnes est claire, froide, vivante.
C’est elle qui nourrit les bassins où nagent les esturgeons et les saumons — fierté des villageois, promesse de beaux repas.

Mais quand vient la saison des pluies, tout change.
Trop d’eau, trop vite.
Les torrents débordent, les bassins se remplissent, puis se brisent.
Et les poissons s’en vont, emportés par le courant.

Une belle saison, parfois cruelle, que les montagnards connaissent bien.

Anecdote : Les chiens des montagnes

Ici, dans les villages, chaque maison a son chien.
Pas pour la compagnie, non — mais pour veiller.

On raconte que certains fumeurs d’opium, en manque d’argent ou de nourriture, entrent dans les maisons.
Ils volent à manger ou de quoi s’acheter leur drogue.

Alors, pour se protéger, les habitants ont des chiens.
Robustes, toujours aux aguets, ils montent la garde devant chaque porte, aboyant à la moindre ombre.

Un aboiement dans la nuit, c’est ici le battement du cœur du village.

Anecdote : La famille

Ici, chaque foyer ne peut avoir que deux enfants, selon la règle fixée par le gouvernement.
Au-delà, il faut payer une taxe.

Dans la plupart des familles, on espère toujours avoir au moins un garçon.
C’est lui qui, plus tard, prendra soin des parents âgés et protégera la famille.

Mais parfois, le destin en décide autrement.
Et quand, après plusieurs naissances, il n’y a toujours que des filles, certains hommes choisissent de divorcer pour épouser une autre femme.
D’autres vont jusqu’à acheter un garçon à une famille qui en a plusieurs.

Anecdote : Les femmes Dao rouges

Chez les femmes Dao rouges, le mariage marque un véritable passage.
Le jour venu, elles se rasent les sourcils et le sommet du crâne.
Un geste à la fois de beauté et d’hygiène, signe de leur nouveau statut.

Elles portent alors un bonnet rouge bordé de blanc.
C’est leurs signes distinctifs, leur fierté.

Mais ce qui impressionne le plus, c’est la préparation de leurs habits :
chaque tenue demande une année entière de couture.
Fil après fil, point après point, elles tissent leur histoire —
celle d’une femme, d’un clan, d’une tradition qui traverse le temps.

Anecdote : Les gardiens du riz

Ici, chaque famille prévoit sa réserve de riz pour l’année :
sept sacs de cinquante kilos par personne.
Un trésor soigneusement entreposé dans la maison, à l’abri de l’humidité… et des voleurs à quatre pattes.

Car les rongeurs adorent le riz.
Alors, pour protéger leurs réserves, les villageois gardent toujours un ou deux chats.
Pas vraiment des animaux de compagnie, mais de véritables gardiens du grenier. Parfois, quand ils sont jeunes, très jeunes il n’est pas facile de savoir si c’est un mal ou une femelle… cela nous a valu quelques fou-rires…

Leur présence est discrète, pas toujours silencieuse, mais essentielle à la vie du foyer.

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Anecdote : Cinq jours entre rizières et montagnes

Cinq jours de marche dans les rizières.


En haut, en bas, souvent dans la boue, parfois en équilibre sur les diguettes étroites.


Autour, les buffles paressent, les canards s’ébrouent, les poules rappellent leurs poussins…
Ici et là, quelques maisons traditionnelles, posées au milieu des champs comme oubliées du temps.

Le parcours

Jour 1 — Départ de Sa Pa.
Passage par Hang Dao, Sa Seng — villages des H’mong et des Dao — puis arrivée à Hau Tao, autre village H’mong perché dans la brume.

Jour 2 — De Hau Tao à Lao Chai, puis Y Linh Ho, toujours en territoire H’mong.
Enfin, arrivée à Ta Van, chez les Dzay, où les montagnes s’ouvrent sur les vallées.

Jour 3 — De Ta Van à Giang Ta Chai, village Dzao entouré de forêts de bambous, avant de revenir pour la nuit à Ta Van.

Jour 4 — Poursuite vers Su Pan, partagé entre H’mong et Dao, puis descente jusqu’à Ban Ho, village Tai niché au bord de la rivière.

Jour 5 — Dernier jour.
De Ban Ho à Nam Tong, autre village Dzao, puis retour à Ban Ho.
Là, une voiture nous ramène à Sa Pa, couverts de poussière, fatigués, mais heureux.

Cinq jours suspendus entre ciel et rizières — un Vietnam des hauteurs, encore sauvage, encore vrai.

Anecdote : La forêt des petits bambous

La forêt des petits bambous appartient à tout le monde.
Ici, elle n’est la propriété de personne, mais la responsabilité de tous.

Chaque année, le village désigne un gardien, chargé de veiller sur la forêt et d’en organiser l’entretien.
Quand vient le moment, deux ou trois habitants montent ensemble pour couper les bambous secs.
Leur craquement résonne doucement dans la montagne.

Mais il faut faire attention.
Les fourmis adorent récupérer la bouse de buffle pour construire leurs nids tout en haut des bambous.
Et lorsque les villageois coupent un bambou habité, il arrive qu’un nid tombe sur eux.
Alors, gare aux morsures !

Une fois le travail terminé, les bambous sont répartis équitablement entre les familles.
Rien ne se perd, tout se partage


c’est la forêt du village, le lien silencieux entre ceux qui vivent ici depuis

Anecdote : Dernière soirée à Sa Pa

La ville a changé.
Trop de bruit, trop de monde, trop de béton.L’air sent la poussière et l’essence. Des lumières partout des enfants qui dansent pour quelques dôngs


Le calme des rizières nous manque déjà…


Demain départ pour le nord est, près de la frontière chinoise… nous allons tester les routes en moto …

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